Des maisons qui s’enfoncent dans la mer. D’anciens lieux de sépulture exposés aux éléments, victimes de l’érosion côtière et de la fonte du pergélisol. La vue de ce tableau a saisi d’effroi Whit Sheard, venu visiter des villages autochtones en Alaska : les effets du changement climatique sont une réalité incontournable.
« Cela m’a profondément marqué », raconte-t-il.

Le visiteur, directeur du programme Arctique à l’ONG Ocean Conservancy, l’a vu de ses propres yeux : les populations de l’Arctique font face aujourd’hui à des évènements météo extrêmes, à des saisons de chasse imprévisibles, à une glace instable. Les méfaits du changement climatique.
Tradition en état de stress
L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Sous l’effet de la fonte de la banquise et de la neige, le niveau de l’océan monte. Résultat : la Terre absorbe plus de rayons solaires, et la température de la planète augmente.
Pour l’Arctique et ses 4 millions d’habitants, le changement climatique n’est pas une menace qui se profile à l’horizon. C’est une réalité aux multiples facettes : érosion côtière, inondations, incendies de forêt, déclin des pêcheries, modification des routes migratoires des animaux.

Personne n’est plus affecté que les peuples autochtones, qui forment environ 10 % de la population dans l’Arctique. En Alaska, les inondations et l’érosion touchent plus de 85 % des villages autochtones. Certains construisent des digues ou d’autres structures du même genre, à titre de protection temporaire. D’autres n’ont pas le choix : ils doivent s’installer ailleurs.
Mais même si la population du village est peu nombreuse, une réinstallation déstabilise la vie des gens et leurs traditions. Cela explique pourquoi peu de communautés font le choix de partir, même si elles bénéficient d’un soutien financier et technique.
Le changement climatique nuit non seulement à l’infrastructure matérielle des collectivités, mais aussi aux populations elles-mêmes. Liées à une économie et à une culture ancrées dans l’environnement glacé de l’Arctique, elles assistent à l’érosion de leurs moyens de subsistance, de leurs pratiques spirituelles et de leurs traditions.

Les hommes prennent plus de risques et dépensent plus d’argent, s’aventurant plus loin qu’avant pour aller à la pêche ou à la chasse. Les femmes n’ont pas assez de peaux ou de fourrures d’animaux pour confectionner des vêtements traditionnels et des objets d’artisanat. Les enfants n’ont pas d’attaches.
« Quand nos enfants sont connectés à leur culture, ils ont plus de ressort, ils sont plus fiers, ils savent qui ils sont », dit Ethan Petticrew, mentor auprès de jeunes qui s’initient aux traditions, artistiques et autres, des îles Aléoutiennes.
Par ailleurs, le réchauffement de l’Arctique a mis des communautés naguère isolées sur le radar d’intérêts commerciaux, tels l’exploration des ressources naturelles, les transports maritimes et le tourisme. S’ils offrent des possibilités de développement économique, ces enjeux commerciaux peuvent aussi compromettre l’environnement dans lequel les peuples autochtones ont prospéré pendant des milliers d’années.
Développer la capacité de résistance
Mais les peuples autochtones ne sont pas figés dans le temps.
Bien au contraire : ils sont doués d’une forte capacité d’adaptation et cherchent toutes sortes de façons d’affronter les changements liés au climat tout en préservant leur culture. Avec l’aide d’organismes gouvernementaux, des milieux universitaires et d’ONG, ils ont lancé un certain nombre de projets qui visent à atténuer ou à contrer les effets du changement climatique.
- formulation de recommandations destinées aux chasseurs de morses, qui souvent n’arrivent plus à atteindre leurs proies en Alaska et dans la Tchoukotka, en Russie ;
- préservation des mets traditionnels grâce à la publication, en ligne, d’un livre de cuisine de l’Alaska ;
- enseignement aux jeunes des techniques de survie dans les territoires du Grand Nord canadien ;
- utilisation d’un GPS aux fins de navigation pendant les expéditions de chasse et de pêche ;
- promotion de toits traditionnels construits avec des matériaux modernes, par souci de durabilité, dans les îles Féroé (Danemark) ;
- construction de routes capables de résister aux aléas du climat dans les régions suédoises et finlandaises de Laponie ;
- valorisation de la langue same par le biais de jeux en ligne et sur les réseaux sociaux, en Russie.

Divers projets et programmes, tel le Kolarctic*, rassemblent dirigeants, défenseurs de l’environnement, scientifiques et participants de plusieurs pays.
Pour Whit Sheard, qui représente un consortium de groupes environnementaux au Conseil de l’Arctique*, les gouvernements doivent s’impliquer de manière plus systématique pour mieux accompagner les communautés autochtones. Le Conseil est un forum intergouvernemental chargé de promouvoir la coopération entre les pays de l’Arctique. Il compte également six organisations autochtones qui discutent de questions vitales avec ses États membres.
Le secrétaire d’État John Kerry s’est engagé à faire de la lutte contre le changement climatique la priorité du Conseil tout au long des deux années que les États-Unis occuperont sa présidence tournante.
Les huit États membres du Conseil – États-Unis, Canada, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Russie et Suède – ont signé plusieurs accords au cours des quatre dernières années. Ces accords portent, entre autres, sur la coordination des opérations de recherche et de sauvetage et sur les interventions d’urgence en cas de déversement pétrolier. D’autres pays participent aux travaux du Conseil, mais n’ont pas droit de vote.

L’énergie renouvelable contre le fléau de la suie
Les populations dispersées sur les vastes étendues de l’Arctique ont un autre problème sur les bras. Elles comptent sur le diesel (qui coûte cher) pour la production d’électricité, le chauffage et les transports. Or le diesel laisse échapper de la suie, et ces émissions de carbone noir mettent en danger la santé publique et accélèrent le réchauffement.
Que faire ? Se tourner vers les énergies renouvelables et la technologie. Avec le soutien des autorités locales et d’entreprises, c’est possible.

Il est particulièrement difficile de développer des sources d’énergie renouvelable dans les climats rigoureux. Parmi les défis qui se dressent : le manque de lumière de soleil en hiver et les températures extrêmes. Mais ces défis ne sont pas insurmontables, affirme Klaus Dohring, président de la société canadienne Green Sun Rising. Il suffit de trouver les méthodes et les technologies adaptées à cet environnement particulier. Exemple : des systèmes de stockage d’électricité.
Avec l’appui du gouvernement de l’Alaska, certains villages de l’État ont installé des systèmes hybrides qui combinent l’énergie solaire ou éolienne au diesel, à titre d’appoint, pour produire de l’électricité. Le village d’Igiugig, lui, tire son électricité du courant de la rivière. Certains projets à plus grande échelle ont aussi été couronnés de succès. Au cours des dix dernières années, la Kodiak Electric Association, qui fournit de l’électricité aux 15 000 habitants de l’île Kodiak, s’est convertie à l’énergie solaire et hydroélectrique.

La collaboration internationale peut jouer un rôle primordial dans la lutte contre le changement climatique, et notamment en Alaska. On en voit déjà les résultats. Exemple : l’Agence des États-Unis pour la protection de l’environnement (EPA) a aidé une entreprise de transports en commun de Mourmansk, en Russie, à abandonner ses bus au diesel au profit de véhicules qui utilisent des carburants plus écologiques.
Mais les efforts officiels ne peuvent pas réussir sans un élan local, fait remarquer Mary Wythe, maire de Homer, en Alaska. L’ampleur du projet local ou les ressources financières ne sont pas le facteur déterminant, explique-t-elle. Sa propre expérience lui a appris que « lorsque vous commencez quelque chose et que vous le faites bien, d’autres viendront vous donner un coup de main ».
En 2007, sa ville a élaboré un plan d’adaptation au changement climatique. Depuis, c’est un modèle pour tous.
*en anglais