Empoisonnements à la Poutine : l’attaque contre Alexeï Navalny en 2020

Cet article fait partie d’une série sur les méthodes employées par le gouvernement russe et Vladimir Poutine pour cacher leur implication, ou celle de leurs alliés, dans des attaques à l’arme chimique contre des civils dans le monde entier. Les autres articles de la série portent sur l’attaque au sarin de 2017 à Khan Cheikhoun, en Syrie, et sur l’empoisonnement de Sergueï Skripal en 2018.

Alexeï Navalny le bras et l’index tendus vers l’avant, parlant dans un micro (© Pavel Golovkin/AP Images)
L’opposant russe Alexeï Navalny s’adresse à la foule lors d’une manifestation politique à Moscou le 20 juillet 2019. (© Pavel Golovkin/AP Images)

Oser s’opposer au président Vladimir Poutine. C’est certainement ce qui a failli coûter la vie à Alexeï Navalny, militant politique de premier plan en Russie empoisonné au Novitchok, un agent neurotoxique de grade militaire développé, à l’origine, par l’ex-Union soviétique.

En août 2020, Navalny tombe gravement malade pendant un vol entre Tomsk et Moscou. Après un atterrissage d’urgence, il est emmené à l’hôpital d’Omsk. Deux jours plus tard, il est transféré par avion dans un hôpital de Berlin, où il finira par se rétablir.

Infographie montrant comment le gouvernement russe s’y prend pour nier toute responsabilité dans l’empoisonnement d’Alexeï Navalny, et une carte de la Russie (Images : © Arafat Uddin/thenounproject.com ; © bioraven/Shutterstock.com)
(Images : © Arafat Uddin/thenounproject.com ; © bioraven/Shutterstock.com)

En septembre 2020, les techniciens d’un laboratoire allemand concluent qu’Alexeï Navalny a été empoisonné avec un agent neurotoxique du groupe Novitchok. Le poison est semblable à celui employé par le service de renseignement militaire de l’armée soviétique, le GRU, dans la tentative d’assassinat de Sergueï Skripal en 2018. Skripal, un citoyen du Royaume-Uni, avait fini à l’hôpital avec sa fille Ioulia et un officier britannique à la suite de cette attaque, qui a causé le décès d’une citoyenne britannique quelques mois plus tard.

Dans l’affaire Navalny, des laboratoires nationaux indépendants de Suède et de Finlande et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ont confirmé les conclusions du laboratoire allemand. (Retrouvez plus d’informations sur la dangerosité des agents innervants ici.)

En décembre 2020, une équipe d’enquête composée de journalistes indépendants a mis en cause le Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie (FSB) dans l’empoisonnement. L’équipe comprenait le groupe de journalisme d’investigation Bellingcat, basé aux Pays-Bas, The Insider, Der Spiegel d’Allemagne et CNN. Le résultat de l’enquête journalistique a été confirmé par la suite par les États-Unis et d’autres pays.

Deux policiers marchant devant un bâtiment (© Evgeniy Sofiychuk/AP Images)
Le 21 août 2020, des policiers patrouillent devant l’unité de soins intensifs de l’hôpital d’Omsk, en Russie, où Alexeï Navalny a été hospitalisé. (© Evgeniy Sofiychuk/AP Images)

Quand l’empoisonnement a été mis au jour, le Kremlin a lancé une grande campagne de désinformation pour nier à la fois son implication dans cette attaque, le fait qu’il pouvait avoir accès au Novitchok et tout motif qui aurait pu pousser Moscou à vouloir empoisonner Navalny.

Le détournement de l’attention, mensonges à l’appui

Des techniciens de l’hôpital d’Omsk, probablement contraints par le FSB, ont affirmé que la dégradation de l’état de santé de Navalny pouvait être attribuée à sa consommation d’alcool, à de la fatigue ou à une mauvaise alimentation. Les loyalistes de Poutine et les médias contrôlés par l’État se sont largement fait l’écho de cette théorie fallacieuse.

Après les faits, les autorités russes et les médias d’État ont diffusé plusieurs fausses affirmations :

  • Navalny avait bu de l’eau-de-vie avant le vol.
  • L’empoisonnement a eu lieu en Allemagne, pas en Russie.
  • Les gouvernements occidentaux, dont l’Allemagne et les États-Unis, ont tenté de salir la réputation de la Russie en fabriquant cette affaire.

Entre août 2020 et janvier 2021, les médias pro-Kremlin ont publié plus de 200 articles mensongers sur l’empoisonnement, a indiqué EUvsDisinfo, un projet européen créé pour surveiller les campagnes de désinformation émanant de la Russie et y répondre.

L’autorisation donnée à Navalny de se rendre en Allemagne a été présentée comme une preuve de l’innocence du gouvernement russe.

« Si [les services de sécurité] avaient vraiment voulu l’empoisonner, ils y seraient certainement parvenus », a déclaré Poutine en décembre 2020.

L’arrestation de Navalny

Le 17 janvier 2021, à son retour d’Allemagne, Alexeï Navalny a été arrêté, puis il a été condamné à deux ans et demi de prison pour violation de sa liberté conditionnelle. En mars 2022, il a été de nouveau condamné, cette fois-ci à neuf ans de prison, pour fraude et outrage, et il purge sa peine dans une prison de haute sécurité. Ces accusations et condamnations sont considérées comme étant motivées* par des raisons politiques.

Depuis sa prison, Navalny a dénoncé sur les réseaux sociaux la guerre de la Russie contre l’Ukraine.

Aujourd’hui, la campagne de désinformation russe sur les armes chimiques se poursuit en Ukraine, le Kremlin s’efforçant de rejeter la faute sur les autres et de masquer ses actes.

 

*en anglais