Joy Womack a 7 ans quand elle dit à sa mère qu’elle sera un jour une danseuse célèbre au ballet du Bolchoï. Un rêve qu’elle aura l’occasion de réaliser en 2009, à l’âge de 15 ans.
Elle a récemment raconté son parcours, présenté ci-après sous forme condensée dans ses propres mots. Propos recueillis par Douglas Namur, stagiaire à ShareAmerica, dans un café à Moscou.
Avez-vous le sentiment que le monde vous appartient ?
Je crois que la Russie a toujours été un endroit mystérieux pour moi. Elle a joué un rôle important dans ma vie à cause de mes grands-parents. À l’époque de l’Union soviétique, mon grand-père était rédacteur en chef de la revue Scientific American. Il travaillait étroitement avec Sergueï Kapitsa (de la célèbre émission scientifique Évident, mais incroyable, à la télévision russe.)
Quand j’ai commencé à prendre des cours de ballet, à 7 ans, j’ai dit à ma mère que je serai danseuse solo au Bolchoï un jour. Elle m’a répondu : « Non, n’y compte pas ! »
Le Lac des cygnes !! le 4 septembre !!! Palais des congrès du Kremlin, Moscou Odette – Joy Womack. Siegfried – Mikhail Martynyuk. Rendez-vous sur la chaîne Youtube #projectprima pour une vidéo du spectacle !
Pour moi, le ballet, c’était quelque chose qu’on fait quand l’école est finie. Ça a changé quand m’a mère m’a emmenée voir une représentation du Lac des cygnes par le Bolchoï. J’avais 7 ans. Elle m’a dit que c’était un travail [pour les danseurs], c’est comme ça qu’ils gagnaient leur vie. À l’époque, j’étudiais [à Los Angeles], dans le style américain, l’idée du rêve américain, quoi. L’idée qu’on se fait de la réussite, c’est d’être choisi par le New York City Ballet et de faire de la danse sa profession. Vivre dans l’Upper West Side et travailler au Lincoln Center.
Ça a changé quand j’avais 12 ans et qu’on a déménagé pour s’installer à Austin [au Texas]. Contre toute attente, ma mère a pu trouver une prof russe. Cette femme m’a aidé à cerner mes priorités. Elle m’a demandé : « Est-ce que tu veux danser en Amérique – où est-ce que tu veux que le monde t’appartienne ? »
Après avoir travaillé avec elle, j’ai été acceptée à l’académie Kirov, à Washington. Vivre deux ans à Washington a été une expérience incroyable. Cela m’a ouvert les yeux sur ce que je voulais faire, et sur le multiculturalisme aussi. J’ai compris que la vie artistique a du bon pour la société.
Une occasion longtemps espérée
Mais après deux années passées à Washington, j’avais l’impression de n’avoir plus rien à apprendre. Je suis allée à New York pour suivre un cours avec un maître du Bolchoï, en visite. Après le cours, il m’a demandé si je voulais faire partie de l’école [de la troupe de son ballet], dès maintenant.
Même à 14 ans, je savais que c’était une occasion qui ne se représenterait pas. J’avais déjà laissé passer plusieurs opportunités. Dans le ballet, il faut grandir vite. L’enfance ne dure pas longtemps. Je me souviens que ma famille se déplaçait pour Thanskgiving pendant que je poursuivais les répétitions et que je dansais dans Casse-Noisette. Mais je n’étais pas une gosse comme les autres : j’aimais la douleur, j’aimais les ampoules, j’aimais le sacrifice. Ce n’était pas difficile pour moi. C’est ce que je voulais, dans un sens.
La nouvelle saison approche. Photo d’Alisa Aslanova
À l’époque, les autres possibilités qui se présentaient à moi étaient l’American Ballet Theatre et aussi différents professeurs et écoles, mais je cherchais un endroit qui serait un atout supplémentaire. En même temps, je faisais quelque chose pour lequel il n’y a pas de manuel de mode d’emploi. C’était probablement l’aspect le plus effrayant. Il n’y avait personne pour me donner conseil.
Quand j’ai parlé à mes parents de l’invitation d’aller à Moscou, ils étaient un peu hésitants. Mais ils savaient que c’était une chance que je ne voulais pas laisser passer. La seule chose à faire, c’était d’y aller.
Et aller vivre à Moscou m’apparaissait comme la suite naturelle de ce que j’avais toujours voulu faire.
Une manchette dans le New York Times, un départ pour la Russie
À Washington, j’avais appris un peu la façon de faire en Russie, et c’est ce qui m’avait aidée à m’y rendre. Quand je suis arrivée en Russie, je dansais avec les diplômées de troisième année – du jamais vu. Ma prof me mettait à l’avant des danseuses de la promotion. Et elle mettait sa réputation en jeu. Je ne parlais même pas le russe à l’époque.
En me rappelant ça, je ne veux pas dire que j’étais « spéciale », mais je peux dire que je travaillais dur. Je n’avais pas les mêmes facilités que les autres jeunes filles, donc je devais consacrer plus de temps pour pallier cela.
Quand on essaie de tout contrôler, on ne profite de rien. Il faut parfois se détendre, respirer un bon coup et profiter du moment.
L’article du New York Times*, qui a paru peu après mon arrivée [en Russie], a joué un rôle pivot dans la dynamique de ma situation à Moscou. À 15 ans, me retrouver en première page du NYT a accru la pression sur moi et m’a permis de reconnaître qu’on attendait beaucoup de moi. Mais je suis reconnaissante d’avoir eu cette pression. Elle a contribué à façonner qui je suis et m’a fait découvrir l’effet des réseaux sociaux et des médias ; elle m’a appris qu’il était crucial de créer du contenu et de raconter son parcours pour réaliser sa mission.
Au bout du compte, je savais que si j’étais capable d’aller habiter ailleurs, d’étudier et de développer mes capacités, j’aurais un avantage sur les autres. Ce que je craignais le plus n’était pas la Russie mais l’échec. La crainte de l’échec m’a propulsée pendant les trois années suivantes. Au cours de la deuxième, quand je voulais tout abandonner – et pendant la troisième, où je me disais ‘’à quoi bon ?’’ – la crainte de l’échec a été ma plus grande motivation.
Ce qui m’a poussé à venir ici en premier lieu, et m’a fait y rester, est le fait que j’avais une peur folle d’être trop à l’aise. Je voulais toujours aller de l’avant et me donner des défis à relever. J’avais peur de tout ce qui serait facile et confortable.
Le Bolchoï crée la ballerine
Le Bolchoï a fait de moi une ballerine. J’ai travaillé et j’ai attendu ma chance, qui est arrivée quand j’avais 17 ans. J’ai fait mes débuts en tant que danseuse étoile dans la production du Bolchoï de La fille mal gardée. J’ai eu l’opportunité de représenter la Russie à l’étranger, et c’est quelque chose que je n’oublierai jamais.
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On dit qu’il y a une façon facile de faire les choses et une qui ne l’est pas, mais en Russie, il n’y a qu’une façon difficile et une qui l’est plus encore. J’ai pris beaucoup de décisions personnelles et fait beaucoup de sacrifices personnels pour être avec le Bolchoï.
Rien n’aurait pu me rendre plus heureuse que le cours des évènements dans ma vie. Parce que maintenant, je peux tenir la tête haute en allant au Bolchoï. Une fois, en y retournant, j’ai vu mon ancienne professeure, et elle m’a dit : « J’ai toujours su que vous étiez une bonne danseuse. Vous devriez revenir. »
Actuellement, Jay Womack se prépare pour les débuts de La Belle et la Bête à la Compagnie de ballet du Kremlin, au cœur de Moscou, mais sa carrière continue de l’amener dans le monde entier. Tandis qu’elle s’entraîne pour le concours d’été 2017 à Moscou, elle collabore aussi avec le ballet national de Cuba.
Suivez ses déplacements à Moscou et à ailleurs sur Instagram*.
*en anglais