
Quand on pense aujourd’hui à l’Allemagne nazie et à l’Union soviétique, l’image qui vient à l’esprit est celle d’ennemis acharnés à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce n’était pas le cas le 23 août 1939.
Ce jour-là, les deux pays signent un pacte de non-agression, convenant de ne pas entreprendre d’action militaire l’un contre l’autre pendant les dix années à venir.
Les journaux soviétiques et allemands publient la nouvelle dès le lendemain de la signature. « Cependant, dès le début, on avait de bonnes raisons de penser qu’il y avait anguille sous roche* », lit-on dans Lituanus, une revue anglophone consacrée à l’histoire de la Lituanie et des pays baltes.
Effectivement. Le public ne le saura que des années plus tard, mais le même jour les deux parties signent également un « Protocole additionnel secret » joint au pacte de non-agression. En moins de 150 mots, ce protocole découpe l’Europe de l’Est en « sphères d’influence » allemande et soviétique. Plus précisément :
- Il ouvre la voie à l’invasion de la Finlande et à l’annexion des États baltes d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie par l’Union soviétique.
- Il divise la Pologne le long des fleuves Narev, Vistule et San, les Soviétiques devant contrôler le territoire à l’est de cette ligne.
- Il ouvre la voie à l’annexion de la Bessarabie, soustraite au territoire de la Roumanie, qui passerait dans la sphère soviétique.
Aujourd’hui encore, « le pacte est pratiquement inconnu », sauf en Pologne et dans les États baltes, écrit l’historien britannique Roger Moorhouse dans son livre The Devil’s Alliance, qui contient le texte intégral du pacte et de son protocole additionnel secret.

Le pacte donne à Adolf Hitler les coudées franches pour attaquer la Pologne* sans crainte d’une intervention soviétique.
L’invasion de la Pologne par Hitler neuf jours seulement après la signature du pacte, le 1er septembre 1939, pousse la Grande-Bretagne et la France à déclarer la guerre à l’Allemagne nazie. Le 17 septembre 1939, les Soviétiques envahissent la Pologne par l’est, occupant la partie du territoire polonais qui leur a été attribuée par le protocole secret. Ainsi commence la Seconde Guerre mondiale, la guerre la plus meurtrière et la plus destructrice de l’histoire*, qui impliquera plus de 50 pays et le déploiement de plus de 100 millions de soldats.
Après l’invasion soviétique de la Pologne, au printemps 1940, la police secrète soviétique exécute près de 22 000 prisonniers de guerre et prisonniers politiques polonais dans la forêt de Katyn*, près de Smolensk, en Union soviétique.
« Il est clair que le pacte nazi-soviétique a chamboulé le monde politique », écrit Roger Moorhouse.
Un pacte qui devient lettre morte en juin 1941, du fait de l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne nazie. Il n’empêche, estime l’historien britannique, que 75 millions d’habitants d’Europe centrale et de l’Est en ont senti les conséquences et qu’un « nombre colossal de personnes ont été persécutées, torturées et tuées par les Soviétiques ». La carte actuelle de l’Europe centrale et orientale « est en grande partie son produit ».
Cet accord secret fait partie de ce qu’on appelle aussi le pacte Molotov-Ribbentrop, du nom des dirigeants qui l’ont signé : Molotov Viatcheslav, commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’Union soviétique, et Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne nazie. Molotov niera pourtant l’existence du pacte secret jusqu’à son dernier souffle, en 1986.
Cinquante ans plus tard, le 23 août 1989, les habitants de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie encore sous occupation soviétique ont marqué ce jour par l’une des plus grandes manifestations pacifiques de l’histoire*. Aujourd’hui, cette date est connue sous le nom du Jour du Ruban noir, ou Journée européenne du souvenir, en commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme. Elle s’est depuis élargie pour inclure tous ceux qui souffrent ou meurent sous des régimes autoritaires.

*en anglais