Le 3 avril 1968, Martin Luther King est à Memphis, dans le Tennessee. Le héros des droits civiques est venu soutenir la grève des éboueurs noirs qui revendiquent de meilleurs salaires et conditions de travail.
« Si je ne m’arrête pas pour aider les éboueurs, que va-t-il leur arriver ? C’est ça la question », lance-t-il à son auditoire. Le discours dans lequel il appelle les citoyens à protéger les travailleurs sera son dernier : le lendemain, la balle d’un assassin lui coûtera la vie.
Dans l’histoire des États-Unis, le mouvement syndical a beaucoup contribué à l’émancipation des Noirs. Mais le chemin a été semé d’embûches.
À la fin du XIXème siècle et au début du XXème, la discrimination est encore répandue, y compris au sein des syndicats. Ils décident de créer les leurs, tout en continuant à revendiquer leur place dans les grandes formations syndicales du pays.
« Faire partie des syndicats était important parce que c’était un tremplin pour le leadership noir », explique Steven Pitts, un expert des questions du travail à l’université California Berkeley. « Dans tout le pays, on voit beaucoup de Noirs qui sont à la fois des leaders syndicaux et des dirigeants locaux. »

C’est le cas de A. Philip Randolph, un meneur hors pair. En 1925, il fonde le Brotherhood of Sleeping Car Porters (La Fraternité des bagagistes de wagons-lits), l’un des syndicats à majorité afro-américaine les plus influents. (Une pièce de théâtre actuellement à l’affiche, Pullman Porter Blues*, met en scène la situation économique des bagagistes et leurs différends avec les patrons, mal disposés à l’époque envers les syndicats.)
« Bel homme, grand, imposant de par la taille et l’allure, et doté d’une voix formidable », Randolph s’avère excellent stratège politique. En 1941, il semble avoir mobilisé 100 000 personnes prêtes à marcher sur Washington contre la discrimination. Cela suffit pour persuader le président Franklin D. Roosevelt de mettre fin à la ségrégation dans les industries de la défense*. Victoire pour Randolph et ses camarades. Ils annulent la manifestation, et officialisent le Mouvement de la Marche sur Washington*.
Des années plus tard, un autre leader syndical africain-américain, Edgar Nixon*, issu de la section d’Alabama du syndicat Brotherhood of Sleeping Car Porters, joue un rôle central dans l’organisation du boycott des bus à Montgomery en 1955.
Selon Steven Pitts, l’adhésion d’Afro-Américains à des syndicats mixtes avait tendance à influencer ces organisations en faveur des droits civiques. De très puissantes organisations syndicales où la ségrégation avait été abolie se sont ainsi rangées du côté d’Edgar Nixon pour mettre fin à la ségrégation raciale à Montgomery et ailleurs.
« Le soutien financier apporté par le syndicat de l’automobile UAW [United Auto Workers] et d’autres syndicats à la Southern Christian Leadership Conference a beaucoup contribué aux efforts lancés dans le Sud, » continue l’expert.
Aujourd’hui encore, les Afro-Américains passent par le syndicalisme pour améliorer leurs conditions de vie. Selon une étude*, les Noirs et les Afro-Américains syndiqués gagneraient près d’un tiers de plus que leurs collègues non syndiqués et seraient plus enclins à se syndiquer que leurs collègues issus d’autres races et ethnies.
*en anglais