Une BD raconte l’histoire de John Lewis aux jeunes

Cette semaine, les Américains commémorent la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté, l’un des points culminants du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis qui a entraîné l’adoption de lois fondamentales.

Des événements commémoratifs sont programmés dans tout le pays, notamment à Washington, où quelque 250 000 personnes s’étaient réunies il y a 57 ans. D’autres hommages se tiendront uniquement en ligne, en raison de la pandémie de Covid.

À cette occasion, le public va pouvoir découvrir ou redécouvrir la trilogie en bande dessinée intitulée March, coécrite par le député John Lewis décédé en juillet 2020. La série, en plusieurs épisodes entre 2013 et 2016, a connu un succès en librairie ; son troisième volet a même remporté le National Book Award, l’un des prix littéraires les plus prestigieux des États-Unis.

Illustration en noir et blanc d’une foule vue depuis le Lincoln Memorial, avec le Washington Monument en arrière-plan (Illustration de Nate Powell tirée de March © John Lewis et Andrew Aydin, avec l’aimable autorisation de Top Shelf Productions)
La Marche sur Washington de 1963 (Illustration de Nate Powell tirée de March © John Lewis et Andrew Aydin, avec l’aimable autorisation de Top Shelf Productions)

John Lewis n’a que 23 ans lorsqu’il s’adresse à la foule rassemblée devant le Lincoln Memorial, le 28 août 1963. Le plus jeune intervenant de la journée, il prend la parole juste avant Martin Luther King qui prononce ce jour-là le célèbre discours « I Have a Dream ».

ShareAmerica s’est entretenu avec le coauteur, Andrew Aydin, et l’illustrateur, Nate Powell, du projet March. L’interview offre un regard sur leur collaboration artistique avec le député John Lewis.

Tout a commencé il y a quelques années. Andew Aydin, alors employé dans l’équipe de John Lewis à la Chambre des représentants, annonce à ses collègues qu’il prévoit d’assister au Comic-Con, une convention annuelle pour les créateurs et les fans de BD. Ses collègues se moquent gentiment de lui, jusqu’à ce que John Lewis intervienne. Le député leur confie qu’une BD sur MLK de 1957 a beaucoup influencé son parcours, de ses débuts en tant que jeune militant jusqu’au Congrès des États-Unis, où il a effectué plusieurs mandats.

Aydin suggère alors à Lewis de livrer son récit à travers une bande dessinée. Mais l’homme politique, déjà auteur d’un mémoire intitulé Walking With the Wind, est sceptique. « Il a fallu se montrer convaincant pour persuader le député Lewis qu’une BD serait le bon moyen de présenter aux nouvelles générations l’histoire du mouvement pour les droits civiques, mais une fois qu’il a été séduit, il s’est rallié à l’idée à 100 % », se souvient Aydin.

Une œuvre à la fois classique et moderne

Andrew Aydin se souvient des entrevues avec Lewis après le travail et le week-end. Tout au long de la création du projet, il sollicite les commentaires du député sur le texte de la BD.

Trois hommes se tenant par la taille, posant en photo sur un pont (© Sandi Villareal)
John Lewis, entouré de Nate Powell (à gauche) et d’Andrew Aydin (à droite), sur le pont Edmund Pettus, à Selma, dans l’Alabama (© Sandi Villareal)

À la sortie de chaque tome, les trois collaborateurs de la BD participent à des événements publics. Parfois, « une question ou une autre du public à propos du lieu où on se trouvait rappelait un souvenir » à Lewis, « et il disait : “Il faut absolument qu’on inclue ça dedans” », rapporte Aydin.

Nate Powell, dont les illustrations en noir et blanc et en nuances de gris évoquent les images d’actualité diffusées à la télé à l’époque des droits civiques, décrit leur collaboration comme un travail « très exigeant », ponctué à chaque étape d’échanges d’idées à trois voies.

« À partir du script d’Andrew, je recoupais généralement les détails avec d’autres récits historiques et avec les mémoires publiées par Lewis, et je cherchais des photos de l’époque des droits civiques, explique l’illustrateur. On était complètement plongés dans le projet », et John Lewis ajoutait de nouveaux détails à chaque fois que les trois hommes voyageaient ensemble, ce qui arrivait souvent.

Pour Powell, l’une des difficultés est d’illustrer les violences subies par les militants pour les droits civiques lors des manifestations contre la ségrégation et le déni de droit de vote aux Afro-Américains.

Deux images de BD d’un homme en train de parler (Illustration de Nate Powell tirée de March © John Lewis et Andrew Aydin, avec l’aimable autorisation de Top Shelf Productions)
John Lewis, jeune mais déjà déterminé, lance l’idée de marches de protestation en dépit des violences subies par les militants, y compris de la part de la police. (Illustration de Nate Powell tirée de March © John Lewis et Andrew Aydin, avec l’aimable autorisation de Top Shelf Productions)

« Quand une séquence violente provoquait en moi un sentiment de dégoût, d’horreur ou d’anxiété à ma table à dessin, je savais que j’étais sur la bonne voie pour restituer la scène, explique Nate Powell. La violence est laide et terrifiante, donc ma façon de la dessiner était rapide et brute. »

Un événement « branché »… et une leçon

Lors des festivals auxquels il participe avec John Lewis après la sortie de March, Andrew Aydin prend beaucoup de plaisir à présenter son acolyte. « Le député Lewis adorait aller au Comic-Con. Il appelait ça un événement “branché”, se souvient Aydin, qui est un fidèle du Comic-Con encore aujourd’hui. « Il aimait les gens, et le fait d’être parmi des gens totalement nouveaux le fascinait. Je me souviens de la joie sur son visage en voyant la queue formée pour avoir son autographe à son premier Comic-Con. »

Ce qu’aime particulièrement Lewis lors des festivals de BD, c’est rejouer devant les enfants des moments vécus lors de ses manifestations les plus célèbres.

« Conduire les marches au Comic-Con était incroyable, dit Aydin. On partait avec quelques centaines de jeunes, et le temps qu’on arrive sur le site de la convention, on était des milliers. […] On voulait montrer aux nouvelles générations comment manifester, pour qu’elles soient prêtes et préparées à poursuivre la lutte. »

La trilogie March, qui figure aujourd’hui dans de nombreux programmes scolaires, montre comment des jeunes, il y a des dizaines d’années, ont provoqué des changements nécessaires dans la société. Aujourd’hui, « les jeunes doivent comprendre que ce moment de leur vie n’est pas un simple exercice, et que ça ne l’a jamais été », souligne Nate Powell.