On a compté les suffrages et annoncé le parti vainqueur. L’élection est terminée. Qu’advient-il alors des perdants ? Dans une démocratie qui fonctionne bien, leur travail vient seulement de commencer.

Le concept de « l’opposition loyale » remonte au XVIIIe siècle. Le lieu : l’Angleterre. On voulait que le parti malchanceux puisse continuer de s’exprimer sans risquer d’être accusé de trahison. Il fallait simplement qu’il soit « loyal », c’est-à-dire fidèle aux mêmes intérêts et principes fondamentaux que le parti au pouvoir. Une opposition loyale est légitime, constructive et responsable. Les démocraties performantes comprennent les avantages de laisser la diversité des voix s’exprimer et de créer un espace pour la dissension.

Changeons d’époque et de continent : John Mbaku, de la Brookings Institution, a constaté que beaucoup de pays africains, au lendemain de l’indépendance dans les premiers temps des années 1960, ne jugeaient une opposition loyale ni importante ni désirable. « L’idée qui prévalait, c’est qu’on ne pouvait construire un pays que si tout le monde était du même bord », explique-t-il.

Cela va changer avec Nelson Mandela et l’Afrique du Sud, poursuit-il. Après la victoire de l’ANC aux élections de 1994, Mandela intègre dans son cabinet trois membres du Parti national (celui de son prédécesseur, F.W. de Klerk) et trois du parti Inkatha de la liberté (IFP).

Le nouveau président voulait un gouvernement inclusif et qui représenterait tous les Sud-Africains. « Mandela n’allait pas remplacer un mauvais système par un autre. La conception qu’il avait du gouvernement tranche nettement sur ce qu’on voit dans la plupart des pays africains aujourd’hui », estime John Mbaku.

Nelson Mandela comprenait qu’une opposition loyale force le parti majoritaire à être responsable devant le peuple. En Grande-Bretagne, les comptes sont rendus en public : pendant la « période de questions », les membres du Parlement mettent le Premier ministre sur la sellette. Ils ont parfois la dent dure, comme le montre la vidéo ci-dessous (en anglais). Les séances de questions-réponses sont largement couvertes à la télévision et dans la presse.

Au Ghana, où l’élection présidentielle se tiendra en novembre, la candidate de l’opposition Nana Konadu Agyeman-Rawlings définit comme suit le rôle de l’opposition loyale pour ce qui est de tenir le gouvernement responsable : « C’est notre devoir patriotique, en tant que citoyens ghanéens, de ne pas laisser la moindre place à la complaisance du gouvernement. »

Dans une démocratie en développement, le jeu du compromis entre le parti porté démocratiquement au pouvoir et son opposition loyale contribue à l’édification et au renforcement d’une constitution viable, d’un appareil judiciaire indépendant et d’un pouvoir législatif robuste. Des institutions qui appartiennent au peuple.

« Si vous voulez vraiment que votre héritage soit celui d’un bon dirigeant africain, bâtissez des institutions qui donneront à chaque groupe de votre pays l’occasion de participer à la gouvernance », recommande l’expert de la Brookings Institution.